Anne Campiche-Panchaud, "Avec tes mots, tu leur diras!"
Histoire d'une marionnette
Tous les jours, durant des années, j'emprunte le petit hall qui mène au premier étage. La marionnette est là, posée de guingois sur le meuble à chaussures, poussiéreuse, sa tête aux cheveux couleur turquoise penchée sur le côté gauche...
Notre fille avait 16 ans, presque l'âge de Manon, la petite Manon de ",Avec tes mots tu leur diras!", lorsqu'elle nous a ramené cette étrange marionnette confectionnée lors d'un cours d'expression artistique.
De la chambre de notre ado, la bizarre chose suspendue à ses fils s'est retrouvée à l'abandon sur le petit meuble brun, entre deux étages, devenue invisible et pourtant dans mon champ de vision chaque fois que je poussais la porte du hall d'entrée.
Je corrigeai alors mon dernier livre, ce travail de fourmi que chaque auteur connait bien...Et pour la xième fois, je repassai devant l'objet. Et pour la première fois depuis des années, je la regardai vraiment. Son air triste, ses yeux vides... Une impulsion, un flash...j'empoignai mon appareil de photos, mitraillai la marionnette. vite la faire apparaitre sur l'écran de mon ordinateur, et là, je sus que ce serait elle qui illustrerait la couverture du livre, de ce livre dont le personnage principal, Manon, l'adolescente qui derrière l'apparence d'une jeune ado comme toutes les autres cachait la désespérance, la souffrance d'une enfant abusée, la marionnette du "sale type"!
L'abus d'un l'adulte sur le corps d'un l'enfant...Une marionnette entre les mains d'un malade!
Je suis en guerre contre la violence, quelle qu'elle soit.
La violence dans le couple, dans la famille, dans le monde.
Je ne peux pas faire grand chose pour l'éliminer.
Mais j'ai mes mots pour le dire.
Pour raconter via un roman l'histoire indicible, la violence de tous les jours.
Parfois mes lignes sont légères, l'humour rattrape mes personnages. La vie n'est ni toute noire, ni toute rose. La vie pulse, danse et même elle, Manon, dans la solitude de son drame intime, rit avec ses copines, caresse son chat, se chamaille avec son frère, se régale de croissants frais, le dimanche, dans la cuisine ensoleillée, autour de la table familiale!
"T'en fais, mon ptit loup.
C'est la vie, ne pleure pas,
T'oublieras, mon p'tit loup,
Ne pleure pas."
Pierre Perret
On n'a jamais autant communiqué en ce 21ème siècle, Internet et autres medias favorisant les échanges, les relations humaines éclair. Derrière les murs des maisons, des hommes, des femmes, des enfants abritent encore au fond d'eux des secrets inavouables, muselés qu'ils sont par des êtres malfaisants. Peut-être que ces hommes, ces femmes maltraitants ont eux aussi été des petits garçons, des petites filles pleins d'énergie, de joie de vivre, de lumière dans les yeux. Peut-être... On ne sait pas toujours ce qui conduit l'humain à martyriser son prochain, on ne sait pas ce qui l'a cassé, ce qui l'a fait vivre son ombre plutôt que sa lumière!